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Histoire abrégée de la bande dessinée politique

Publié le 16 Octobre 2022

Histoire abrégée de la bande dessinée politique
Histoire abrégée de la bande dessinée politique

 

Histoire abrégée de la BD politique (JLR)

 

à wolinski, Cabu et autres autres VICTIMES DE LA BARBARIE ISLAMISTE

(ébauches)

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PLAN ET RANTANPLAN

  1. Aux origines, la sculpture et la peinture
  2. La satire un art révolutionnaire
  3. Satire des mœurs puis satire de la politique
  4. Prélude à la naissance du cinéma et influence réciproque
  5. L’explosion de la BD politique dans les années 1960

Mai 68 et le détournement situationniste, les imitations en entreprise.

 

  1. Aux origines, la sculpture et la peinture :

« Est-ce qu’il faut que je te fasse un dessin pour que tu comprennes ? » est une expression populaire qui semble vieille comme le monde. Son origine se perd sans doute dans la nuit des temps puisqu’elle signifie une volonté de compréhension entre les hommes, le désir de « figurer » ou de figer une représentation. Peut-être les premiers hommes dans les grottes de Lascaux ont-ils voulu laisser des traces des animaux de leur cheptel ou, en les dessinant, voulaient-ils  exhiber leur richesse ?

Laissons aux grottes leurs secrets millénaires et demandons-nous plutôt si la création, l’art en général, n’a pas, en prenant des formes successives – premiers dessins, musique, sculpture, peinture, etc. – toujours cherché à améliorer la communication entre les hommes ou du moins tenté de la représenter dans la conflictualité (la guerre) ou les sentiments (l’amour) ou les écrits sacrés (la sagesse) ?

Contrairement aux autres arts, le dessin apparaît comme plus simple, plus immédiat, plus rapide, par l’écriture vouée à l’usure du temps. Avant Gutenberg, pour perdurer, la représentation dessinée exige le ciseau à bois ou le burin. L’art reste toujours le reflet d’une souffrance, produit d’une société donnée mais en même temps révolte contre celle-ci.

En ce sens, les gargouilles sont certainement les premières formes de dessin satirique gravé dans la pierre. Les gargouilles au faîte des Eglises ou des Cathédrales, par leur pose indécente, leur gueule étrangement écarquillée, sont un défi à la religion. On a glosé sur les artisans sculpteurs qui, au sommet des bâtisses de prière, se moquaient de leurs commanditaires religieux par leurs statuettes lubriques penchées vers le petit monde des fidèles en contrebas…

 

La satire, comme expression orale, date certainement des premières sociétés humaines connues et développées comme la Grèce antique. Au XIIIe siècle on raconte que des troubadours dénonçaient dans des fabliaux satiriques la traque des hérétiques par une Eglise aux serviteurs cupides. La Réforme de Luther fera apparaître des dessins subversifs. Luther décrit ainsi le « vice papal » : « Et d’abord, 1° Tête d’âne qui désigne si bien le pape (…) Autant la cervelle d’âne diffère de l’intelligence de l’homme, autant la doctrine papale s’éloigne des dogmes du Christ. 2° Main droite semblable au pied d’un éléphant, qui signifie pouvoir spirituel du pape… ». Luther fût lui-même caricaturé lors de son mariage le 13 juin 1525.

Comme le commun des mortels, les peintres ont été frappés eux-mêmes par ces étranges sculptures et ils devaient remplacer à leur tour le burin par ce nouveau crayon à dessin, le pinceau. Au 15ème siècle, Léonard de Vinci et Jérôme Bosch peignent des tableaux où l’enfer est représenté de façon caricaturale avec des êtres aux traits déformés par la douleur et la repentance. Ils expriment les peurs superstitieuses de l’époque mais ne semblent pas se moquer des institutions religieuses.

La peinture, comme le dessin progressivement, s’adresse d’abord à toute la population dont la majeure partie est illettrée, et probablement la majeure partie des sculpteurs et peintres.

LE GENIE DE GOYA

Personne ne l’a relevé, excepté le dessinateur alsacien Tomi Ungerer (qui se réclame de Goya, Bosch, Dürer, Hogarth, Daumier), dans les diverses tentatives d’histoire de la bande dessinée, mais Goya est incontestablement le précurseur de la BD politique. Goya crée dans une période révolutionnaire, même si son pays, l’Espagne va être victime de l’impérialisme girondin et bonapartiste. La société féodale est ébranlée par la révolution française qui étonne le monde entier. La première édition des Caprices est de 1799. Cette série de dessin est pour une première partie consacrée à la satire sociale. En explorant l’âme humaine, Goya en dessine les défauts. Il va plus loin que la moquerie de divertissement de ses contemporains William Hogarth (1697-1764), Thomas Rowlandson (1756-1827) et George Cruikshank (1792-1878). Goya fournit une diatribe visuelle. Il stigmatise les vanités et les ridicules. Il dénonce, mieux qu’un écrivain pour une population illettrée la suffisance, la bêtise et l’aveuglement.

Francisco Goya préfigure la satire politique qui va se développer au XIXe siècle. Face au cynisme du dominant l’arme du pauvre n’est-elle pas dans la satire dont l’artiste est la main ? On imagine le public espagnol riant devant les tableaux ou dessins de Goya, avec ce rire de soulagement de celui qui trouve un compagnon de misère, capable de représenter la vanité des grands mais aussi le plaisir sensuel.

Goya est plus grand encore, pour son époque (et la nôtre) en réalisant les gravures « Désastres de la guerre » qui laissent le témoignage des sinistres exactions des soudards napoléoniens. Goya est révolutionnaire contre l’envahisseur, tout comme il était républicain clandestin à la Cour dominée par l’Inquisition.

 

Goya n’influence donc pas simplement les peintres français du XIXe siècle, du romantisme à l’impressionnisme, il ouvre la voie à un nouveau moyen, non seulement d’expression, mais de lutte : le dessin caricaturiste. Celui-ci peut déformer, accentuer les traits pour moquer un puissant mais aussi simplement reproduire l’indicible d’un champ de bataille, bande dessinée muette qui peut se passer de bulles pour la compréhension. Le dessin peut aussi être témoignage, et représenter l’indignation, s’il ne la suscite pas.  Il ne nie pas avoir été influencé par le réalisme pointu et soigneux de Velasquez (qui s’était « fait la main » en dessinant des chefs d’œuvre de Michel-Ange et de Raphaël). Sous le poids des interdits religieux, la peinture depuis le Moyen âge était soumise à une réglementation rigide : aucun tableau ne devait être aussi beau que Dieu ; c’est pourquoi le peintre était obligé d’affubler toute œuvre d’un détail prosaïque, par exemple un paysan en train de pisser en arrière plan ‘un bal de campagne. C’est un peu le même souci d’éviter d’offenser Dieu qui préside à la représentation de nains et de bouffons avec les portraits. Velasquez ne comporte pas la dimension sulfureuse de Goya. Il met son art au service de Philippe IV par un portrait équestre où le roi est représenté comme un courageux commandant des troupes, ce qu’il ne fût jamais. Velasquez a ouvert cependant la voie au réalisme cruel de Goya par l’extraordinaire et culotté « Les Ménines » où le roi et la reine sont à l’arrière plan alors que le tableau de l’artiste, celui-ci, des enfants et un chien sont au premier plan. De même, son portrait du pape Innocent X, qui reproduit avec une vérité saisissante non le visage comme tel mais une expression du visage est quasiment subversif.

Longtemps après, à l’époque moderne, la force du dessin, de la bande dessinée, ne sera pas non plus de figurer le plus platement des personnages, mais d’exprimer leurs émotions ou une révolte sociale.

2) La satire devient art révolutionnaire :

Le dessin satirique accordera longtemps la place prépondérante à l’expression du dessin, le texte sous le dessin apparaît peu à peu pour exprimer le contenu du dialogue des personnages dessinés. Cela obligeait le peuple à ce qu’un liseur public décrypte l’échange écrit. Avec l’extension du combat pour l’école laïque, le dessin est de plus en plus accompagné d’un texte, et il vient revaloriser et donner un sens public au dessin. C’est beaucoup plus tard que le texte va entrer dans le dessin sous forme de bulles avec la multiplication des personnages et la volonté de raconter une histoire.

Le cartoon ou dessin de presse, qui est de plus en plus un moyen d’inciter à la lecture des masses encore illettrées, dont certains n’achètent encore le journal que pour ses dessins, se développe en Angleterre, aux Etats-Unis et en France du XVIIIe au XIXe siècle. Le dessinateur reste un pigiste et un graphiste ; ce moyen lui permet de s’exprimer plus librement que le journaliste sans encourir les foudres immédiates de Dame Anastasie du fait qu’il suppose un rire enfantin, et que le rire se partage, au-dessus des classes sociales. Le dessin déborde toutes les limitations de l’écrit. Il devient si subversif que plusieurs dessinateurs connaîtront la prison.

Le dessin s’affirme comme le refuge des sans grades, de ceux qui sont sans voix. Pour le mouvement ouvrier naissant il apparaît donc comme un moyen privilégié d’expression et de revendication sociale. Il est profondément lié au développement de l’imprimerie avec le recul de l’illettrisme.

 Au début du XIXe siècle, le suisse Rodolphe Töpffer, fils du célèbre caricaturiste Wolfgang Adam Töpffer, publie sept albums de bande dessinée. On nomme encore ce travail littérature en estampes. Il aura une répercussion considérable en Europe, enchantant même le prince des poètes Goethe.

Rodolphe Töpffer se revendique de Molière, Racine, Virgile, Tacite et surtout, par les idées de Jean-Jacques Rousseau. En 1824, sa première œuvre est écrite en grec, Harangues politiques de Démosthène et en 1826, il publie anonymement sa première critique d'art sur une exposition du musée Rath de Genève.

La notion d'« inventeur de la bande dessinée »  comme art (le 9e selon Francis Lacassin) est controversée. Cependant, le caractère inédit des histoires en images que Töpffer commence à créer en 1827, cette nouvelle manière d'articuler texte et images montées en séquences, et surtout la perception par l'auteur qu'il faisait quelque chose de nouveau avec ce mode d'expression inédit le font généralement considérer comme le premier auteur de bande dessinée occidental.

Bien que très influencé dans sa mise en scène par le théâtre (les personnages sont généralement représentés de plein pied, comme face à un public), et par le roman dans ses textes (qui articulent les vignettes), les histoires de Töpffer ne sont pas de simples romans illustrés car « les composants de la narration verbo-iconique sont indissociables» : sans le dessin, le texte n'aurait pas de sens, mais ce dernier aide à mieux faciliter la compréhension de l'histoire. Loin d'être simple juxtaposition de textes avec des images, elles sont donc intéressantes de par leur caractère mixte (narration-illustration), ce qui suffit à les caractériser comme bandes dessinées, bien que la narration soit encore fortement assujettie au texte. Rodolphe Töpffer confiera à son père la direction d’une école pour apprendre le dessin.

Avec Honoré Daumier (1808-1879), par son œuvre immense de lithographe, le dessin peut même devenir témoin et histoire du temps ; elle est ainsi à proprement parler comme le dit la traduction de BD en espagnol une « historietas ». Son œuvre dessinée comporte près de 4000 lithographies animées d’un style populaire et frappant. Il travaille successivement pour les journaux « La Caricature » (1830) et « Le Charivari » (1832) qui mène le coma républicain contre Louis-Philippe. La littérature a très anciennement compris l’importance de l’illustration des textes, depuis les premiers textes sacrés compilés par les moines avec des enluminures. Daumier participe à l’illustration des romans de Balzac.

En s’efforçant d’échapper à la censure de son époque, Daumier développe la satire sociale. Il se moque du système social : la justice et les affaires, la bourgeoisie et ses formes de domination, la crise du logement, la place des femmes, l’enseignement religieux, etc. Les caricaturistes contemporains comme Wolinsky, Plantu, Willem, se réclament d’ailleurs de sa paternité.

  1. Satire des mœurs puis satire politique :

Ce n’est pas un hasard si la première bande dessinée (dessin qui raconte une histoire) apparaît dans le pays du jeune capitalisme en pleine croissance et peu soucieux des convenances, aux Etats-Unis. En 1895, dans les pages du « New York World » naît le premier personnage des futurs « comics », un petit garçon nommé The Yellow Kid (dit Mickey Dugan, dont Walt Disney reprendra le prénom pour son héros planétaire) qui, une année plus tard, parlera dans une bulle. Le phylactère (bulle) avait pourtant existé déjà à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre dans les caricatures sous forme de récitatif. Les lecteurs des grands quotidiens comme le Sunday Examiner et le New York World en deviennent friands. La mode se répand en Amérique du Sud. Ces dessins s’attirent d’abord quelque mépris de la classe domina nte cultivée, qui y voit un « journalisme à sensation », qui deviendra un idiome américain pour caractériser un « yellow journalisme » (la presse jaune = presse à sensation). L’introduction du dessin dans les colonnes des journaux est pourtant une simple volonté d’attirer un plus grand nombre de lecteurs rebutés par l’aridité de longues colonnes d’écriture, et aussi, déjà, les enfants qui apprennent à lire.

Ce n’est qu’en 1925, dans « Dimanche soir » avec les aventures de Zig et Puce qu’avec les aventures de Zig et Puce qu’on trouve l’usage des bulles en Europe. Quelques années plus tard, en Belgique, Hergé n’hésitera pas à exprimer ses opinions politiques dans ses « illustrés ». Le nom diffère d’un pays à l’autre : comics chez les anglo-saxons, Fumetti en Italie, Tebeos ou historietas en Espagne, manga au Japon, Manhua en Chine, etc. Dans les années 1930 les productions américaines dominent en Europe, mais seront interdites dans les pays fascistes.

 

Plus que le simple dessin qui a longtemps moqué des personnages extravagants, les mœurs, la bande dessinée a du mal à sortir d’un genre considéré comme mineur. Elle reste marquée par le souci de plaire aux enfants tout en étant un clin d’œil aux adultes, et moyen de défier la censure pour faire passer un message non conforme pour l’Eglise et à la classe bourgeoise. Le début du XXe siècle est donc marqué par une vague de BD pour enfants qui se centrent sur des histoires merveilleuses où un héros (en général petit, chétif et sans défense) se sort des situations les plus pénibles. Comme le penseur de Rodin, rien n’interdit de penser que ce petit héros de BD est bien le prolétariat, ou du moins la représentation des classes pauvres. De Mickey à Tintin, la BD devient de plus en plus la saga du redresseur de torts, le Zorro des éternels vaincus.

Avant l’explosion moderne de la BD, le dessin caricaturiste sur journal ou sur affiche a pris les devants au moment des révolutions. Pendant la Commune de Paris (1871) les dessins anti-cléricaux abondent. La révolution russe de 1917 fera naître une profusion d’affiches et de caricatures de l’ordre bourgeois, après nombre d’estampes anarchistes de l’époque de la révolution française, et de la fin du XIXe siècle contre la guerre et la curaille.

En France, en septembre 1915 est créé le Canard Enchaîné, en riposte à la censure et au bourrage de crâne. Ce journal séculaire va devenir populaire dans les tranchées surtout par ses caricatures. Il déclare s’attaquer : « à la guerre, à la censure, aux politiciens, aux affairistes, aux curés, au pouvoir, à la guillotine ». Il est le journal de PCDF (Pauvres Cons Du Front). En novembre 1916, pastichant les concours de la presse militariste, le Canard lance un référendum pour « l’élection du grand chef de tribu des bourreurs de crâne ». Le 20 juin 1917, il annonce que le grand vainqueur est Gustave Hervé, suivi d’une courte tête par Maurice Barrès.

 

C’est la Première Guerre mondiale, puis la montée vers la seconde qui va pousser la bande dessinée à être politique, dans le sens de la propagande de chaque camp. Entre-temps vont apparaître au cours de la vague révolutionnaire en Europe des mouvements artistiques dont le dessin sera la figure de proue avec les caricaturistes anti-militaristes George Grosz et Otto Dix  (1891-1969) dont les esquisses ébauchent sur plusieurs dessins les premiers pas d’une BD politique contestataire. George Grosz (1893-1959) adhère aux idées communistes du Novembergruppe en 1918 et participe à l’insurrection spartakiste. Il est arrêté en 1919 mais parvient à s’échapper. Il confie ses dessins aux revues berlinoises « Der Blutige Ernst » et « Die Aktion ». Son antimilitarisme et sa lutte pour le prolétariat aboutissent à la saisie des revues où ont été publiés ses dessins. Il est condamné pour insulte envers l’armée impériale (« Gott mit uns »). L’ébranlement de la société par les révolutions russe et allemande va provoquer l’éclosion de mouvements artistiques radicaux, dont le dessin sera la principale arme d’action, de Dada au surréalisme.

  1. Prélude à la naissance du cinéma et influence réciproque :

La naissance du cinéma est liée étroitement aux exigences posées par les premières BD. En devenant « historietas » la BD introduit la nécessité du mouvement. Les premières boites à film sont d’ailleurs des machines rondes où l’on voit défiler et bouger des dessins qui font se succéder les divers mouvements du corps. La première adaptation au cinéma, et le premier film, est celle de L’arroseur arrosé des frères Lumière, tiré d’une BD  de 1887 d’Hermann Vogel. Le personnage inoubliable de Charlot, le clochard universel et céleste, fût initialement dessiné par Thomen en 1926 dans le magazine L’As.

Cette influence ou plutôt cette interpénétration demeure à l’époque moderne puisque les films sont toujours réalisés à partir d’un synopsis qui n’est autre que la BD du réalisateur (le story-board qui décrit le déroulement des scènes). L’arrêt sur image de certains films est encore un clin d’œil à la BD comme passage de témoin à la caméra obscura. Bon nombre de films ont encore de nos jours pour inspiration prédominante la BD.

 

La montée vers la Seconde Guerre mondiale va stopper l’aspect innovateur et subversif du dessin satirique et de la BD. En 1937, le régime hitlérien organise une exposition sur « l’art dégénéré » où seront brûlées les œuvres de George Grosz, de Otto Dix, de John Heartfield, du peintre expressionniste norvégien Edvard Munch (père lui aussi de la BD politique moderne) et de tant d’autres artistes jugés subversifs ou « payés par les juifs de Moscou ».

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le régime de Vichy échoue à créer un art pétainiste de la BD. Par contre, dans les camps de prisonniers le dessin satirique sera une des formes de résistance. Au camp des Milles en France les Hans Bellmer et Max Ernst expriment leur survie par des dessins sous le manteau, comme des enfants juifs dessinent les images de la mort et des tortures (dessins d’enfants de Theresienstadt). Plus de 30.000 dessins ont été retrouvés à la libération des camps. Juste après la guerre civile d’Espagne, les enfants espagnols ont été conviés par les époux Brauner à reproduire les affres de la répression. Saisissant.

Pendant la durée de la guerre, la BD filmée deviendra un instrument de propagande sponsorisé par tous les Etats en guerre. En retrouvant son aspect simplificateur, elle permet de faire passer les plus gros mensonges nationalistes, mieux que des reportages de guerre où la destruction finit par être contre productive pour les masses sous les bombes. Cependant, la propagande ne peut vraiment utiliser le dessin ou la BD comme tels (ils restent subversifs en sous-entendant toujours le rire ou l’enfantillage), c’est pourquoi on adjoint aux bandes dessinées filmées des musiques grandiloquentes (le pom pom pom pom de Beethoven) pour dissiper l’incrédulité du spectateur. Comme les films de propagande de Disney, les films nippons sont ridicules.

La propagande guerrière ne peut reprendre à son compte un art qui est celui des pauvres et des sans –défense, et qui suppose la complicité face à l’oppression. Le rire reste l’arme du prolétaire et du pauvre.

  1. L’explosion de la BD politique dans les années 1960

Dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, années moroses, le dessin et la bande dessinée ont du mal à retrouver leur aspect subversif. La BD semble destinée à être redevenue une distraction pour enfants. La plupart des BD sont apolitiques.

En France le Canard Enchaîné reprend peu à peu du poil de la bête contre la guerre d’Algérie. Journal basé sur la prédominance du dessin satirique il est plus lucide que les soi-disant intellectuels engagés qui choisissent toujours un camp militaire. Favorable à l’indépendance algérienne, il ne fait pas confiance aux libérateurs nationalistes : « La rédaction prise dans son ensemble éprouvait une grande résistance pour la résistance algérienne ». La caricature garde une allure bon enfant avec la série « la cour » du dessinateur Moisan où De Gaulle est représenté comme un monarque suffisant, moins ridicules que ses sous-fifres. Le peuple et De Gaulle lui-même aimaient à parcourir les gentilles caricatures ; le Canard ne se cache pas d’être « fou du roi et garde-fou de la République ». Ambiance anti-fasciste garantie !

Quelque chose est en train de changer underground au milieu des sixties avec MAD aux Etats-Unis qui, depuis 1952 est passé de la parodie des vedettes de cinéma à celle des hommes politiques, et Hara-Kiri « bête et méchant » en France dont les photos scandaleuses sont scotchées à l’intérieur des ateliers avec celles de Lui ou Playboy (« si vous ne pouvez pas l’acheter, volez-le !). Une vague de fond de contestation larvée dans la société, encore infra-politique et anarchiste, prélude à l’explosion de mai 68.

Il semble bien que la société mondiale, bien qu’enserrée entre deux blocs menaçants, bouillonne à nouveau d’envie de vivre. Comme jadis et naguère, des mouvements artistiques sont annonciateurs de ce mouvement de fond. Les enfants de la guerre ne veulent plus jouer à la guerre. Les enfants des privations veulent une société plus juste. Insensiblement les spectacles, avec l’explosion du cinéma qui a remplacé le théâtre, ont supprimé la séparation des distractions enfants/adultes. Guy Debord dira joliment : « le spectacle est présent partout ».

Une loi française de 1949 avait bien tenté de restreindre les BD aux seuls enfants, mais la BD reste irrespectueuse des lois. Dix ans à peine plus tard, Pilote fidélise les adultes anciennement enfants. Sans y prendre garde, Astérix le chauvin gaulois revanchard ouvre la voie à la BD politique, à Siné « l’enragé » et aux situationnistes.

Dans un milieu limité, plutôt estudiantin, les brochures situationnistes qui commencent à circuler à partir de 1966 étonnent par leur utilisation d’images en vignettes  avec des bulles qui contiennent des propos qui sortent de la BD traditionnelle, qui ne comportent pas d’histoire mais s’affiche comme slogans. Un vulgaire manager en cravate déclare à sa secrétaire sexy qu’il est pour le « pouvoir des conseils ouvriers », etc.

Ces artistes anarchistes qui se réveillent eux aussi de l’assommant triomphalisme de la victoire des Alliés démocratiques et qui se moquent du pachydermique régime stalinien, se posent des questions sur l’avenir de la société. Ils renouent donc avec l’aspect subversif du dessin et de la BD qui, mieux qu’un discours socialiste ampoulé, frappe l’esprit comme au temps de la Réforme ou des croquis subversifs de George Grosz pendant la révolution allemande. Mais, très rapidement, peu après mai 68 le groupe situationniste va éclater et laisser à d’autres le projet de révolution de la société par le prolétariat.

 

Mai 68 a produit, avec l’Atelier des Beaux-arts à Paris et à Lyon des affiches mémorables, mais personne ne s’est penché sur l’influence des « situs » post-mortem dans les publications d’entreprises dont nous donnons quelques extraits ici. Les « situs » étaient des fainéants sans dessinateurs de talent, mais avec le détournement ils prouvèrent leur talent politique.

Les années 1970 ont vu se développer une BD qui s’éloignera à nouveau du politique subversif pour retomber dans une BD de « mœurs » avec le talent incontestable de dessinateur comme Gotlib, Cabu, etc. Rare sont ceux qui ont gardés la fibre politique incisive comme Willem.

Charlie Hebdo nouvelle formule n’est plus qu’un bâtard de l’ancienne. L’affaire des dessins « sataniques » n’a pas révélé un nouveau combat pour la liberté, mais une querelle de type nationaliste entre obscurantistes et « fous de la démocratie bourgeoise ».

La BD politique officielle n’est plus qu’une marchandise froide comme l’illustrent les albums de Tardi-Vautrin « Le cri du peuple », le « No Pasaran » de Giardano, le « Jons Finks » vision éculée de la guerre froide, etc. Le succès démesuré des produits pipole comme « La face Kärchée de Sarkozy » ravale la réflexion à une discussion de comptoir et focalise à nouveau sur la personne et non les institutions.

Au lieu d’intéresser à la complexité de l’histoire, ces albums la rabaisse à des simplismes. La BD ne peut pas suppléer aux vrais livres d’histoire ni à la réflexion politique. Le dessin caricaturiste ou la BD ont toujours été utiles et subversifs lorsqu’ils se situaient du côté des opprimés. Ne doutons pas qu’ils retrouveront cette fonction éclairante et jubilatoire dans de futurs chambardements de société. Pour l’heure, comme la littérature et les médias, ils sont au service des puissants de ce monde.

Le dessin retrouve son rôle subversif par certains tags, la plupart sans humour commémorent les copains abattus par la police ou morts d’overdose. Ils expriment plus le désarroi d’une jeunesse no future que les slogans détergents des années 60. Ils expriment une souffrance et un désir de reconnaissance, une volonté de donner au quartier le sentiment d’une appartenance, un chez soi…

 

 

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