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ARCHIVES MAXIMALISTES 2.over-blog.com

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VERA ZASSOULITCH parmi les précurseurs de Lénine

Publié le 1 Mai 2022

par Maurice Paléologue, ancien ambassadeur de France en Russie (écrit de 1938)+

Dans plusieurs salons de Moscou, on parlait ouvertement de transformer le régime. Et le fougueux champion du panslavisme orthodoxe, le plus ardent instigateur de la guerre, Ivan-Serguélévitch Akzakow, ne craignait pas de réclamer la convocation immédiate d'une assemblée nationale.

Vers le même temps, le grand pontife du socialisme allemand, Karl Marx, exilé à Londres, pouvait écrire : « La Russie est à la veille d'un bouleversement général ; tous les facteurs en sont prêts ; toutes les couches de la société russe se trouvent, du point de vue économique, intellectuel et moral, dans un état de complète désagrégation.

Karl Marx voyait juste. Pendant quatre années, le peuple russe va subir une des crises les plus émouvantes, les plus pathétiques de son histoire.

La crise est ouverte par une femme, Vera Zassoulitch, le 7 février 1878.

Tourgueniew, dont la psychologie était si pénétrante, avait depuis longtemps pressenti le rôle animateur que les femmes joueraient bientôt dans le drame révolutionnaire, parce qu'elles y trouvaient l'emploi de tous leurs instincts profonds ; parce que nulle autre forme d'activité ne leur permettrait de satisfaire aussi largement leur besoin d'exaltation, leur pitié pour la souffrance des humbles, leur aptitude au dévouement et au sacrifice, leur culte de l'héroïsme, leur mépris du danger, leur soif d'émotions fortes, leur appétit d'indépendance, leur goût du mystère et de l'aventure.

Donc, le 7 février 1878, une jeune fille noble, Vera Zassoulitch, âgée de vight-huit ans, tire deux coups de revolver sur le préfet de police de Saint-Pétersbourg, le général Trépow, et le blesse grièvement. Elle s'était imposée le devoir de venger un de ses camarades socialistes, Bogolioubw, détenu à la Forteresse et que le général Trépow, dans un emportement de colère, avait fait passer par les verges.

Elle comparut, le 12 avril, devant la cour d'assises qui, depuis les réformes libérales d'Alexandre II, comportait un jury. Le verdict ne semblait pas douteux, puisque le crime s'était accompli au grand jour et que la jeune fille se targuait de sa culpabilité. Mais, dès que l'audition des témoins commence, il se produit, dans la salle enfiévrée, une étrange interversion des rôles, transformant l'accusée en accusateur public et la victime en accusé. Pourtant les jurés appartiennent tous aux classes élevées de la société. Quant aux assistants, les cartes d'entrée ne leur ont été distribuées qu'à bon escient et les hauts fonctionnaires de l'empire sont de beaucoup les plus nombreux. A chaque témoignage nouveau, à chaque réponse de la nihiliste, la fièvre de la salle monte. Pendant la plaidoirie, l'auditoire devient frémissant, comme s'il sentait passer sur lui des effluves électriques. Enfin le jury se retire pour délibérer.

Après quelques minutes, il rapporte un verdict d'acquittement. Résolus à ne pas condamner la coupable, les représentants de la conscience sociale n'ont pas hésité à nier le crime. A peine le président a-t-il achevé la lecture de ce verdict imprévu, que tout le public éclate en applaudissements. Vera Zassoulitch sort au milieu d'une ovation, qui se change en délire d'enthousiasme quand elle paraît devant la foule qui attend sur la place du Palais de Justice. Un cortège se forme aussitôt. Dans un concert d'acclamations furieuses, l'héroïne est portée en triomphe vers la maison du général Trépow. Mais une charge de gendarmes et de cosaques arrête soudain cette marche triomphale. Un régiment d'infanterie ouvre le feu. La multitude se disperse, laissant derrière elle, une traînée de morts et de blessés. Dans cette déroute, Véra Zassoulitch disparaît, enlevée par ses amis, et elle s'enfuit à l'étranger.

L'incident éveille en Russie un écho tumultueux. A Kiew, à Moscou, à Kharkow, à Odessa, les manifestations révolutionnaires se suivent sans trêve, comme si elles s'engendraient l'un l'autre. La police les étouffe dans le sang.

À suivre

Biographie : Elle se réfugie en Suisse, avant de rentrer en Russie, où elle milite dans l'organisation Terre et Liberté, mais après la scission de ce mouvement en août 1879, elle participe à la fondation de l'organisation Partage Noir avec Gueorgui Plekhanov, Pavel Axelrod, Lev Deutsch, Ossip Aptekman et Élisabeth Kovalskaïa.

Elle traduit en russe des ouvrages marxistes et notamment le Manifeste du Parti communiste, édité à Genève en 1882. En 1881 a lieu un échange de lettres entre Vera Zassoulitch et Karl Marx., notamment au sujet des Mir paysannes.

Zassoulitch avait pris ses distances avec l'anarchisme pour adhérer au mouvement marxiste à partir de 1883. Elle participe alors à la fondation du groupe Libération du Travail avec Plékhanov. Le groupe la charge de traduire des textes de Marx en russe, ce qui contribuera notablement à la diffusion du marxisme en Russie.

Trois personnages de la nouvelle génération de marxistes (Martov, Lénine et Potressov) rejoignent en Suisse Zassoulitch, Plékhanov et Axelrod. Ils y fondent un nouveau journal marxiste, l'Iskra, se donnant pour but le regroupement des social-démocrates russes. Malgré les divergences entre les jeunes et les anciens, les 6 travaillent ensemble au comité de rédaction de l'Iskra et polémiquent (en 1900-1903) contre les « marxistes économistes », et les « marxistes légaux » ou ex-marxistes (Struve, Boulgakov...)

Elle est connue ensuite pour sa correspondance avec Marx qui lui témoigne son admiration et son amitié : https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1967_num_5_1_3085

 

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