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INTERVIEW D'UN PETIT FILS DE COMMUNARD

Publié le 4 Novembre 2016 par Jean-Louis Roche

INTERVIEW D'UN PETIT FILS DE COMMUNARD
INTERVIEW D'UN PETIT FILS DE COMMUNARD

Prolétariat universel n°18

 

Et si on refaisait la Commune…

Interview de Marcel Cerf (23/05/2001) Par Pierre Hempel (alias Jean-Louis Roche)

 

Pour Caroline

 

P.H. : comment vous est venue cette passion de toute une vie pour la Commune ?

 

Marcel Cerf : J’avais un oncle Vuillaume, petit-fils de Maxime Vuillaume, journaliste de la Commune. J’étais allé à l’enterrement du communard Camélinat en 1931. Cet oncle m’a fait lire les Cahiers rouges de Maxime. J’ai même vu les originaux chez sa petite fille. Cet oncle avait eu un fils et une fille, chanteuse d’opéra. La lecture des cahiers rouges m’a profondément marqué. J’ai voulu en savoir plus sur ce grand événement. Mais la Seconde Guerre mondiale est arrivée et j’ai été emmené prisonnier en Bavière. J’avais déjà lu plusieurs livres sur la Commune, et, comme j’étais prisonnier avec un camarade instituteur qui connaissait l’histoire, on faisait une petite causerie sur la Commune avec les prisonniers pour marquer le coup…

De retour à la vie civile, après guerre, j’ai exercé divers métiers. J’ai été assistant de prise de vue au studio Paramount, puis projectionniste au studio Billancourt. Comme projectionniste j’ai fait partie des premières équipes du cinéma le Rex, on était par équipe de cinq. J’ai été photographe au journal « Regard » avec Capa, puis au chômage, puis homme de peine au garde-meuble national, puis comptable à la compagnie des compteurs à Montrouge. Je me suis occupé d’une succursale qui n’a pas marché. Enfin je suis entré au Ministère de l’industrie comme contractuel comptable, et j’y ai fini ma carrière.

P.H. : vous étiez syndiqué ?

M.C. : avant et après la guerre, j’étais syndiqué à la CGT. Je n’ai jamais été stalinien même si j’ai eu tendance à suivre le PCF au début. Je suis parti d’ailleurs sans faire de fracas. J’ai cessé d’appartenir à ce parti en 1951.

P.H. : vous connaissiez pourtant le libertaire éditeur René Lefeuvre ?

M.C. : Oui, j’aurais pu être influencé par lui. Je le connaissais depuis 1929. J’avais 18 ans. Il m’a influencé sur mes lectures…

P.H. : pas sur autre chose ? Je fais allusion à son homosexualité.

M.C. : (il rit) non. J’ai mis très longtemps à découvrir qu’il était homosexuel. C’est ma femme qui me l’a fait remarquer une fois après guerre (la femme de Marcel est décédée, comme la mienne et au même âge, d’un cancer). Je ne m’en étais jamais aperçu. Lefeuvre était quelqu’un de très correct dans les rapports personnels. Il faisait partie des amis du journal de Barbusse « Monde » où on trouvait aussi le réalisateur Marcel Carné, qui était lui aussi homosexuel. Lefeuvre était un type formidable. A l’origine c’est un maçon qui n’a été à l’école que jusqu’à douze ans. Il se cultive tout seul et acquiert des connaissances littéraires extraordinaires. A chaque réunion, il me mettait un livre dans la main.

P.H. : on pourrait vous questionner sur chaque événement de la seconde partie du siècle pour savoir comment vous l’avez vécu. 1958 ?

M.C. : on a eu très peur, on a sérieusement pensé à un coup d’Etat militaire avec des paras sur les toits.

P.H. : 1936 et 1968, lequel vous a le plus passionné ?

M.C. : Juin 36 ! Une plus grande joie qu’en 1968 où pourtant j’ai été souvent à la Sorbonne. Juin 36 c’était surtout les ouvriers qui défilaient. J’étais en première ligne au défilé monstre qui était venu devant le mur des fédérés. J’y étais comme photographe. C’est l’époque où depuis 1935 on révolutionnait la maquette du journal « Regard ». Jusque là c’était un journal moche avec des photos pisseuses. On a pris dans notre équipe le surréaliste Pierre Unik. L’équipe s’est renforcée peu à peu. Notre metteur en page avait beaucoup d’idées, il était lié au groupe Octobre. Sadoul commençait ses critiques de cinéma. Il y avait aussi Moussignac, connu à l’époque. Cette équipe produisit une telle effervescence et originalité qu’elle provoqua l’expansion du journal jusqu’à la guerre. Unik qui était juif est mort en déportation. La femme de Capa est morte dans les combats en Espagne en faisant aussi son métier de photographe.

P.H. : je peux vous demander en passant comment on peut réussir une photo ?

M.C. : il ne faut jamais faire de photos posées, c’est le b.a. ba du bon photographe.

 

« Versailles crut faire avec la terreur le silence éternel » (Louise Michel, 1898)

 

P.H. : Comment est née la trajectoire des amis de la Commune de Paris ?

M.C. : L’association des amis de la Commune avait été créée en 1882. Au départ c’était une mutuelle d’anciens combattants de la Commune, puis, petit à petit, cette association rejointe par des enfants, des parents de communards qui disparaissaient chacun leur tour, s’est étiolée jusqu’à la guerre. Camélinat en a été longtemps le secrétaire général. J’ai adhéré en 1950, par fidélité à la Commune et pour inspirer le présent (la démocratie directe). En 1950, l’association était en perte de vitesse. Dans les années 60, Jean Braire la reprend en main. Son livre « Sur les traces des communards » est très intéressant.

P.H. (qui essaie de prendre en défaut Marcel) : combien y a-t-il eu de fusillés au mur des fédérés ?

M.C. : 147. En 1976, après 16 numéros on suspend la revue La Commune, faute d’argent. On tirait à environ 3000 exemplaires.

P.H. : vous êtes encore otages des staliniens avec Bruhat, Rougerie ?

M.C. : pas vraiment, d’ailleurs Bruhat avait perdu ses illusions sur le PC, comme il le raconte dans son dernier livre. Donc, après les Cahiers de la Commune maintenant on fait des petites brochures bon marché, mais anonymes. On l’a décidé ainsi et cela représente l’association comme telle. On a fait des numéros spéciaux sur Louise Michel, Frankel, les étrangers et la Commune, etc.

 

La bourgeoisie eu-t-elle recours à l’antisémitisme pendant la Commune ?

 

P.H. : avant de passer aux questions sur la Commune, je souhaite vous entendre sur l’Affaire Dreyfus et son exploitation moderne. Cette Affaire est un coup monté de la caste militaire qui tient le manche encore dans la société française à la fin du XIXe siècle, mais elle a lieu dans une période d'effervescence de 1890 à 1998, puis jusqu’à disons 1906 (incluant la révolution russe de 1905) où le prolétariat inquiète à nouveau la bourgeoisie à nouveau comme au moment de la Commune de Paris. La désignation du bouc-émissaire juif est une solution perverse en vue de l’union nationale pour récupérer les provinces perdues. Peut-on dire que l’antisémitisme est déjà utilisé au moment de la Commune comme ce sera le cas face au bolchévisme ?

M.C. : Non, l’antisémitisme est une idéologie moderne. Au moment de la Commune, en Suisse il y a des attaques de Bakounine contre le communard Outine (qui est juif) mais c’est anecdotique, cela ne relève pas d’une campagne d’Etat. Il y a pendant la Commune des allusions concernant les frères May (d’origine juive) qui étaient à l’intendance, mais Varlin, qui leur succède, les lave de tout soupçon en confirmant que sous leur administration il n’y avait eu aucune malversation dans les comptes. A l’époque, la désignation de tel ou tel juif, même si elle est désagréable et non avenue en politique, relève de l’attaque personnelle pas d’une campagne délibérée.

P.H. : Alors venons-en à Dreyfus. Est-ce que certains historiens contemporains n’ont pas exagéré cette affaire rétroactivement par rapport à la réalité de l’époque, où la classe ouvrière était redevenu dangereuse et où il était impératif d’occulter déjà le conflit de classes en posant les termes dans le binôme défense de la République laïque contre la réaction féodale et non pas bourgeoisie/prolétariat ? Hervé comme Péguy ont montré chacun à leur façon que plus grave était la condamnation à mort d’ouvriers pour faits de grève et plus évidente la préparation de l’Union sacrée autour du cas secondaire du petit-bourgeois Dreyfus.

M.C. : Est-ce qu’on a pas exagéré l’affaire rétroactivement ? D’après les gens de ma famille, qui l’ont vécue, c’était terrible. Des amis de longue date devenaient soudain ennemis pendant l’affaire. C’est vrai que cela était exploité par une partie de la bourgeoisie. La dénonciation d’Emile Zola a eu une grande importance. Mais sur la Commune il est impardonnable. Zola, jeune journaliste parisien présent à Paris pendant la Commune, avait fait régulièrement des compte-rendus pour les journaux versaillais et avait débiné les communards. Flaubert et George Sand avaient, eux, une excuse de s’être prononcé contre la Commune, ils étaient en province et n’étaient renseignés que par les journaux versaillais. Pourtant, même un royaliste comme Villiers de l’Isle-Adam collaborait au Tribun du Peuple et fit de belles pages en faveur de la Commune.

Peut-on dire que les vrais problèmes ont été éclipsés au moment de l’affaire Dreyfus ? L’esprit cocardier était tout de même important, même parmi les ouvriers. Il ne faut pas oublier que, même du point de vue communard, la guerre de 1870 avait été une des causes de la Commune, et, pour beaucoup, non pas pour réaliser une révolution universelle, mais, une fois écrasé les Versaillais, reprendre la guerre contre l’Allemagne pour récupérer l’Alsace et la Lorraine. C’est pourquoi Vaillant et d’autres anciens communards ont été patriotiques finalement en 14. Il ne faut pas oublier que Blanqui était farouchement pour la défense nationale et la libération nationale…

 

A la charnière de la défense nationale et de l’internationalisme

 

P.H. : oui mais c’était pour une époque où cette libération nationale avait un sens pour la constitution du prolétariat et l’industrialisation.

M.C. : Oui, et de fait, en ralliant le camp patriotique ces vieux communard trahissaient le vrai fond universel de la Commune. Le blanquiste Vuillaume, dont le témoignage a guidé mes premiers pas dans la compréhension de la Commune, était vieux et diminué, dans une situation financière précaire (la plupart des communard survivants ont fini dans la misère car il n’y avait pas les assurances sociales), et il a participé à des petits journaux de « bourrage de crâne » tout au long de la guerre de 14-18 ! C’était alimentaire, je le sais. Mais c’était quand même pour la revanche.

P.H. : donc infidèle à la Commune ?

M.C. : bien sûr ! Les blanquistes pensaient - et c’était la position de Rossel - qu’après avoir écrasé Versailles, on reprendrait la guerre contre les allemands. D’ailleurs, Rossel était rentré dans la Commune parce qu’il avait honte que le gouvernement ait demandé la paix. C’était en fait un ultra-patriote. Edith Thomas qui a fait un très bon bouquin sur Rossel va dans ce sens. Les deux généraux polonais de la Commune, Dombrowski et Wroblewski, avaient gardé l’optique de l’indépendance de leur pays face à la Russie, et se battait dans la même optique pour la France.

P.H. : quel est le plus grand communard du point de vue du communisme universel ?

M.C. : c’est difficile à dire. C’est Varlin. Frankel est remarquable. C’est Moreau… La commission du travail de Frankel a fait le travail le plus important en si peu de temps.

P.H. : J’ai été déçu par le long film de Watkins, passé sur Arte, qui bien que bon au tout début sur la forme, des communards qui témoignent interrogés par des journalistes, finit en récupération-apologie minable des luttes syndicales merdiques de la gauche actuelle et les fanfreluches gauchistes de l’anti-mondialisation.

M.C. : Le film de Peter Watkins est un essai intéressant. J’ai assisté un peu au tournage. J’ai d’ailleurs fait de la figuration. (il rit) J’y apparais en bourgeois versaillais. (il rit encore) Et je suis natif de Versailles…

L’action se passe dans sa grande généralité dans le 11ème. Pourquoi le 11ème ? Parce qu’en 1871, le 11ème est l’arrondissement le plus peuplé de Paris. Il y vit là une population ouvrière très révolutionnaire. Il y a un club « Le Prolétaire », et ce club publie un journal « Le Prolétaire ». Ce journal est tout-à-fait d’avant-garde. On voit très clairement se développer l’action des comités d’arrondissement. Et il y en aura un peu partout dans Paris après. Ce sont des clubs de contre-pouvoirs pour talonner le comité central de la Commune et lui dire d’agir. Les clubs et ces comités ont été l’aiguillon. Il y a toujours eu des antagonismes entre le comité central de la garde nationale et l’assemblée des élus de la Commune ; cela n’a pas toujours été favorable à l’action. Mais ces gens des arrondissements, de la base, souvent au nom de l’Internationale, poussaient le plus loin. On peut citer par exemple cette motion du 14e arrondissement qui dit au comité central : « agissez ! ne laissez pas les munitions inutilisées dans les chantiers ! Si vous continuez ainsi vous nous menez à la défaite ! ». Ainsi, plein de motions partent de la base. On voit là un commencement de démocratie directe, même si les initiatives sont bien souvent désordonnées, il faut le dire. Mais c’est la révolution.

P.H. : ça vient d’où ?

M.C. : ça vient de l’Internationale, de la tradition des luttes et du blanquisme. Mais les choses ne sont pas aussi délimitées que les militants ou les historiens voudraient le croire. Beaucoup de blanquistes sont aussi membres de l’Internationale. On a dit que les blanquistes n’étaient que pour l’action - battre les versaillais avant tout ! - alors que les gens de l’Internationale auraient été plus réformistes. En réalité, il faut dépasser tout schématisme. Des gens de l’Internationale étaient, comme on dirait, très activistes militairement, quand des blanquistes se prononçaient en faveur des réformes sociales.

P.H. : est-ce que l’échec d’Octobre 1917 et la chute du stalinisme n’ont pas effacé à jamais la référence historique à la Commune ?

M.C. : Pourquoi la référence serait-elle effacée ? Oui, au début, Lénine a constamment en tête la Commune, et il dit d’ailleurs « ouf on a dépassé les cent jours de la Commune », et c’est bien au début la base qui décide en Russie. Cela on ne peut l’oublier même si çà s’est transformé rapidement en pouvoir d’un parti unique.

P.H. : est-ce qu’on va refaire la Commune de Paris contre ce monde pourri ?

M.C. : Non, on ne refera pas la Commune. Mais l’impulsion de ce mouvement d’exception reste intéressante pour la classe ouvrière au XXIe siècle. On ne peut pas oublier que ce mouvement a exprimé la possibilité de la démocratie directe. Et sur le plan social, c’est le décret du 16 avril qui confie les ateliers abandonnés par leurs propriétaires à des coopératives ouvrières. C’est un début d’autogestion. N’est-ce pas d’actualité avec ce qui se passe pour les ouvriers de Lu et Marks&Spencer ? On met en place des ateliers coopératifs pour ce qui concerne les munitions, problème le plus important évidemment pour l’heure. Frankel avait demandé l’inventaire de tous les ateliers abandonnés, par corps de métiers. Ils n’ont pas eu le temps… L’atelier coopératif d’armement mis en place et dirigé par Avrial a fonctionné.

P.H. : quels livres conseillez-vous de lire à la jeune génération prolétaire ?

M.C. : L’histoire de la Commune par Lissagaray.

P.H. : pas Louise Michel ?

M.C. : Louise Michel n’est pas une théoricienne. Elle n’a pas fait œuvre d’historien. Elle ne s’élève pas au-dessus des événements. On peut lire aussi La guerre civile de Marx, l’opuscule de Lénine même s’il a recopié Marx. Il faut lire aussi La Commune de Lepelletier, observateur pertinent des défauts ; trois volumes sont parus qu’il n’a pas pu achever hélas parce qu’il est mort avant. On peut lire aussi La troisième défaite du prolétariat français de Benoît Malon, socialiste indépendant, pas en odeur de sainteté pour Marx, mais son histoire est intéressante. La Commune de Da Costa. Da Costa a l’avantage d’être précis. Il était substitut du procureur de la Commune Rigault, et donc, comme il était à la justice il a pu noter des faits sociaux qui sont plus visibles à cet endroit. Son parcours ultérieur est sujet à caution, il a été antidreyfusard et vaguement nationaliste. On lui a reproché, sur la base d’archives policières, d’avoir faibli devant la police et, sur promesse d’aller revoir sa bien-aimée, d’avoir livré des noms et des adresses de communards…mais ces gens, exilés pour la plupart en Angleterre, n’habitaient plus aux adresses indiquées. Retenons surtout qu’il nous lègue une histoire intéressante.

LISBONNE ET MOREAU…

P.H. : il y a donc une contribution particulière de Marcel Cerf à l’histoire de la Commune…

M.C. : J’ai eu beaucoup de chance dans mes recherches. J’ai découvert des documents uniques, des gens formidables. J’ai eu accès aux mémoires du colonel Lisbonne (dont j’ai fait une biographie) ; j’avais connu la veuve de l’exécuteur testamentaire de Lisbonne. Ces mémoires ont paru dans notre revue. Je me suis attaché surtout à restaurer l’importance de quelqu’un dont on parlait peu jusque là : Edouard Moreau de Bauvière.

P.H. : quel nom à coucher dehors ! Qu’est-ce qu’il vient faire là ce noble ?

M.C. : C’est un des paradoxes de l’histoire. Rien ne destinait ce petit noble de province a devenir « l’âme du comité central », comme je l’ai écrit.

P.H. : le Robespierre, le Lénine de la Commune ?

M.C. : oui. Même Maxime du camp qui a écrit un tas de stupidités, a reconnu l’importance de Moreau. Moreau avait vécu en Normandie, donc je m’adressai d’abord au conservateur de ce département. Il n’y avait rien dans les archives, mais le conservateur me signala qu’il y avait une dame…de la même famille…dans un château de la région… Je suis entré en contact aussitôt avec elle. Je me suis trouvé en présence d’une grande dame, de noble allure, élégante, jolie, remarquable. On a sympathisé..

P.H. : vous l’avez draguée ?

M.C. : non. Elle était vraiment charmante. Elle m’a procuré toute la documentation que je désirais sur son oncle. Evidemment l’engagement communard de Moreau avait fait scandale dans la famille. Cette dame m’a ainsi permis de réaliser un bulletin avec des documents uniques. Oui Moreau est l’homme central de la Commune. Toutes les déclarations du comité central du 18 mars à la proclamation de la Commune sont, pour la plupart, rédigées de sa main. Il avait des idées extraordinaires.

P.H. : enfin, expliquez-moi comment... un type, de province, de plus aristo… ? D’où tient-il sa formation politique, a-t-il été blanquiste, ou membre de l’Internationale ?

M.C. : et oui, vous êtes surpris ! Vous raisonnez en militant professionnel. Moreau n’était ni blanquiste, ni marxiste, ni quoi que ce soit. Il était aristocrate par sa mère, une petite noblesse aux origines très anciennes. Il s’en fichait, il se faisait appeler Moreau, et n’ajoutait la particule parfois que pour faire rire l’assemblée. Il vivotait dans le journalisme de la libre pensée. Il n’était même pas socialiste sur le fond. Soldat il avait été scandalisé par l’impuissance du gouvernement face au siège de Paris. Il s’était levé et avait dit « il faut que le peuple prenne ses affaires en main » et ça a changé complètement son comportement.

P.H. : excusez-moi du peu, Marcel, mais moi je me suis levé nombre de fois en assemblée générale en criant « que les prolétaires prennent leur propre sort en mains » et ça n’a jamais cassé des briques….

M.C. : Moreau c’est le paradoxe des révolutions. Il s’est fait remarquer par son courage pendant le siège de Paris à Buzenval. Il s’est distingué en créant des sociétés de soutien aux indigents, aux veuves, etc. Il était très apprécié par son chef de bataillon. Au bout du compte il est élu par son bataillon pour aller le représenter au comité central à Paris. Il devient le centre parce qu’il n’appartient à aucun parti ni à l’Internationale ni aux blanquistes. Il est au-dessus des fractions politiques. Cela a intrigué beaucoup d’historiens. Certains ont été jusqu’à prétendre qu’il avait été un peu blanquiste. Ce n’est pas vrai mais on aime bien étiqueter les gens. C’est Moreau qui a organisé un service de reporters dans Paris insurgé, rattaché au ministère de la guerre. Ces reporters allaient par les rues parisiennes recueillir l’opinion des gens sur le déroulement des événements.

Avant de jouer un rôle central, il avait été élu commissaire auprès de Delescluze, celui-ci avait senti tout de suite à qui il avait affaire, et se sentait surveillé. Moreau a été le directeur de l’intendance jusqu’au bout. Il ne négligeait pas pour autant son rôle de théoricien et projetait, avec une vision plus ample que la seule ville assiégée, la nécessité d’une Constituante. La bourgeoisie versaillaise a reconnu à sa façon l’importance de cet homme pour la révolution. Il habitait au 10 de la rue de Rivoli, dans l’appartement de sa tante. Ils sont venus le chercher. Il est reconnu dans l’escalier de l’immeuble. Immédiatement appréhendé, il est conduit à la cour martiale au théâtre du Chatelet puis exécuté sans jugement à la caserne Lobeau. Il a donc autant d’importance que Varlin pour moi, mais surtout parce que c’est un homme qu’on ne peut pas classer. C’est la révolution qui forge ce genre d’hommes. Vuillaume a souligné la valeur inestimable de Moreau.

P.H. : et vous, Marcel, dans quelle fraction communarde auriez-vous été ?

M.C. : J’aurai été du côté de l’Internationale, avec Frankel. J’aurais été avec Courbet au moment de la création copie conforme des termes « comité de salut public » (dénomination du comité jacobin en 1789). Il a dit : à quoi bon reprendre cette vieille défroque de 89 et 93. Mais il a été mis en minorité et on reprit l’appellation jacobine qui ne correspondait pas à cette révolution. La minorité comprenait pas mal d’internationalistes.

 

P.H. : on ne parlera pas aujourd’hui de la sexualité pendant la Commune, c’est secondaire, et ce n’était pas la tasse de thé à Louise Michel…

M.C. : ah…on dit pourtant qu’elle a eu une longue balade dans un bois avec Victor Hugo qui la protégea…

P.H. : hélas, d’après ses dernières mémoires parus, il a essuyé un refus.

M.C. : alors il s’est rattrapé sur tant d’autres, mais cela ne lui enlève pas son talent (rires).

P.H. : Marcel, permettez-moi de vous remercier très chaleureusement pour m’avoir accordé avec tant de simplicité cet entretien, alors qu’on ne se connaissait pas deux heures avant. (il me dédicace son livre et signe « salut et fraternité »).

 

P.S. Lecteur je te recommande vivement la lecture de l’œuvre de Marcel Cerf, évidemment si tu peux trouver ses ouvrages sur Moreau et Lisbonne au marché aux livres Brassens par exemple, sinon tu peux écrire ou adhérer « aux Amis de la Commune de Paris » 46 rue des Cinq-Diamants Paris 75013, tél : 01 45 81 60 54.

(cotisation annuelle : 80 F, Jeunes, chômeurs, étudiants : 20 F)

 Après cet entretien, alors qu’on ne se connaissait pas deux heures avant, il me dédicace son livre et signe « salut et fraternité ».

 

 

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